jeudi 25 novembre 2010

La roulette russe

Chacun a ses instants particuliers dans une journée. Moi, c’est entre une heure et deux heures du matin. S’il y a un moment parfait pour un coup d’Etat, c’est bien là. Pareil pour les tueries. C’est pas pour rien qu’on m’appelle la Roulette Russe.

    « Eh ma belle, tu paries sur quoi ce soir ?
-       Mes vêtements.
-       Ah ouais ? »

    Voilà, ils commencent à ricaner. Ça marche toujours de leur dire ça, les cons, ils y croient. Comme si je pouvais perdre, moi, la Roulette Russe. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que même mon surnom est truqué ; mon flingue, il est toujours chargé.

    On ne sait rien de moi. De passé, j’en ai pas. Je n’en ai jamais eu. On ne demande jamais à un flingue d’où est-ce qu’il vient, non ? On veut juste qu’il tire, qu’il blesse, qu’il tue. Et rien d’autre.

    En tout cas, y a pas à dire, ce soir j’ai touché le gros lot. Trois crétins plus friqués les uns que les autres et persuadés que je vais enlever ma culotte pour eux. Trop tard, je dégaine. Les lumières du casino me font mal aux yeux, comme d’habitude. Quand on est une chauve-souris comme moi, faut savoir s’adapter à des lieux aussi nases, tellement artificiels que ça en donne la gerbe. Vous savez pourquoi la Roulette Russe ? Parce que je suis blonde, ça fait nordique paraît-il, puis mes yeux quand je m’énerve dégomment tout. Ouais, je tuerais d’un seul regard, c’est ce que me sortent tous ces pommés. J’leur perfore les poumons, leur transperce leur cœur moisi. Moi, je sais juste que je suis chargée en permanence, mais ça je vous l’ai déjà dit. Ce ne sont pas des paroles en l’air. Un jour j’irai dans la rue, quand il y aura du soleil. J’verrai la vraie lumière, le ciel, les arbres, tout. Et là, j’vais vraiment jouer à la roulette russe. J’connais un type qui vend des flingues, et pas des faux. Il m’en filera bien un, juste comme ça. J’prendrai une allure de pute, ça suffira. Et je mettrai juste une balle dedans. On verra si je mérite de vivre ça, là toute seule au milieu de tous ces bleds pourris, de tout cet ennui.

    Voilà que les trois autres me donnent des petits surnoms bidons alors que je balance mes jetons. J’vous jure, ce que pensent les hommes, ça ne vole jamais bien haut. Et les femmes, je ne les comprends pas. Faut dire que je n’en vois pas souvent, les maris, ils n’emmènent pas leur femme quand ils vont jouer sur leur baraque. Dans des patelins pareils, la libération de la femme on l’attend encore. Mais pour ce que j’en ai vu, une femme, c’est assez pathétique, qu’elle soit belle ou non.  Ça a toujours peur de ne pas se voir. C’est dingue comme elles ont envie de plaire, de vrais petits chiens bien pouponnés. J’mange pas du chien, c’est pour ça j’me limite aux hommes. Et je commence à les connaître, les hommes. Ça se croit au dessus du monde alors qu’ils sont juste terriblement trouillards et à ras de terre. En tout cas, vous devriez voir quand ils sentent que la mort approche, leur regard. Chaque repas est une vengeance sur tout ce qu’ils ont pu faire ou dire, sur tout ce qu’ils ont perdu. Mais en fait, ils n’ont pas tort de m’appeler comme ça, la Roulette Russe.  Un des seuls trucs intelligents qu’ils aient pu dire. C’est vrai qu’on ne me survit pas à tous les coups. Faut dire, j’suis pas n’importe qui, même si je suis personne. Et oui. Des trois crétins, l’un va mourir ce soir. Je tuerai bien sûr celui qui joue le mieux. J’ai une raison à cela. J’crois trop au prince charmant, vous voyez. J’espère encore. J’espère encore, qu’un jour, je tomberais sur un type que je n’arriverais pas à tuer, un mec qui verrait clair dans mon jeu. Qui me ferait déposer les armes, enfin. Qui me ferait entendre le silence. Mais ça n’arrive jamais ce genre de choses, à part à ses filles cruches dans les séries TV. Et encore moins à un vampire.

mercredi 6 octobre 2010

L'homme du vide

À trop regarder vers le ciel, on s’en prend une forcément, de claque. Les courants, les marées basses, ces petits bouts de cœur arrachés, tu sais… Ils sont tous enterrés. Tu marches dans la rue, sale comme Paris, et les pigeons te brouillent la conscience du sol. Les colombes que dis-je, les colombes. On ne te la fera pas. Tu te fous des cailloux qui crissent sous tes semelles, milliers d’éclats de rire qui pavent ta route. Où vas-tu ? Existes… Tue ? Moribond, vagabond, la crasse se colle à tes pas, quelle fayote. Roi parmi les rois, le sourire en bandoulière, tu t’adresses aux dieux des buildings et tu leur chantes les fondements du feu des enfers. Mon ami, mon ange, qui se meurt à la pointe du jour et renaît de ses cendres aux lueurs des lampadaires. Souverain des moustiques, empereur des déchets, tu n’ouvres les yeux que quand vient l’heure des auras noires. Les passants se moquent, t’oublient, tu pleures en silence des larmes d’indifférence. Et tu pars. Toujours.

Arrive le temps du temps. Fini les aurores, tu ne les embrasseras pas. Quoi, dis-moi ! Hécatombe des désirs, que vienne enfin la nuit ! Les couteaux, les sabres du désert, le soleil et la soif ne suffiront pas. Tu mourras à coups de livres, poète maudit, fantôme des romantiques ! L’œil de charbon, plus beau que jamais, tu t’assois au bord de la falaise, là-bas, au bord du monde. Qu’y vois-tu ? As-tu atteint l’autre côté de l’arc-en-ciel ? Tu trembles de froid et d’envie. Tu penses. Tu t’enfonces dans les précipices et les portes ouvertes. Et tu attends. Tant de choses ont traversé ton esprit, tant de choses ont changé, madone ! Ô là-haut, paradis des enclumes qui tombent et qui tombent… Ô prince, réveille-toi ! Abracadabra.

Le magicien d’Oz ne pardonne pas.

Tu cours, projection astrale des étoiles, le cœur au bout des doigts, prêt à s’envoler. Mais je suis là. Toujours là, dans ce vent qui souffle et qui passe, à en faire valser les murs, ivres de liberté. Et tes cheveux qui dansent, si tu savais, c’est la seule insulte à tous ces généraux de la mort, à ces faiseurs de miracles et aux guindés. La vie n’a pas de prix, c’est à toi, l’aristocrate, que le ciel appartiendra. À l'homme du vide.

jeudi 11 février 2010

La nuit noire ou les raisons de voler un service à thé anglais

Dans la nuit noire, elle s’est perdue.

« On ne devrait pas. On ne devrait jamais, perdre. Pas ça, pas le service à thé ! C’est celui avec de l’encre dedans, le truc à inspiration ! Je le trouve plus Darling, je te jure !
- Ne t’en fais pas, on va le retrouver, et on va le siroter, ton thé de sorcière.
- Non, je te dis, non ! L’autre vieille folle me l’avait dit, de ne pas laisser la fenêtre ouverte la nuit. Jésus, Marie, Jo…
- Chut ! On ne jure pas. Pas dans une si jolie bouche.
- Mais que vais-je faire ?
- Appelle-le. Il n’y a pas d’autre solution. »

Elle ne sut quoi répondre. Pas ça, pas après tant d’années, elle s’en sentait incapable. Ses mains commencèrent à trembler, elle serra les poings. Elle ferait mieux de se mettre au lit, avec un bon bouquin et une soupe de légumes. On visait le sain(t), pas l’inverse. C’était pas les bordels d’Amsterdam ici.
« Je ne l’appellerai pas. Tu sais aussi bien que moi comment ça finirait. »
Il se rapprocha : « Quoi, dis-moi, raconte-moi, comment ça finirait. »
Il lui prit une mèche de ses drôles de cheveux auburn, la huma, en la regardant droit dans les yeux.
« T’es qu’un pervers Darling. »
Elle mit ses bras autour de son cou, sourit en lui mordant doucement les lèvres. 

« Dis-moi, raconte-moi. »
Elle s’éloigna brusquement, comme électrocutée. Pourquoi insistait-il ? L’aventure n’en valait pas la peine. C’est juste qu’elle se ferait bien une tasse de thé.
« Ce qu’il ferait, c’est qu’il laisserait parler les monstres. C’est mauvais. On ne fait pas d’omelette sans œufs, ni avec des œufs pourris, on en meurt. Et lui, il est pourri jusqu’à la moelle, à force de voler comme ça dans les airs. La troposphère, ça rend les nerfs instables. Je veux bien qu’on ait besoin de lui, mais moi je ne veux plus le voir.
- Ma belle, les histoires sont contées. Il est inoffensif.
- Tu parles ! C’est lui qui a volé mon service à thé.
Et sans le service à thé, c’était fini. Elle y infusait du Dickens, du Proust, du Baudelaire, la combinaison magique. Elle aurait plus qu’à jeter ses corsages si elle ne pouvait plus boire des poèmes. Plus de ventre plat, ni de longues jambes. Et il partirait, la laissant nue et laide dans la soie fanée. Elle se surprit à avoir peur, très peur.
« Que le diable l’emporte ! Je vais l’appeler. Il ne m’en laisse pas le choix. Mais je risque de ne plus me souvenir du numéro.
- Tu ne peux pas l’avoir oublié. C’est dans tes veines, tu t’es piqué avec.
- Crois-tu que je l’ai fait exprès ? Darling, tu m’exaspères. Les drogues dures, on n’y écope pas. C’est la fatalité. »

Le souffre dans l’air. Avant même d’y avoir pensé, il était là. Dans l’ombre des toits. Il savait. Il savait tout, de son addiction. Comme elle disait, la fatalité. Il avait le service à thé, il tenait le cimetière. Il actionnerait le manège. Sortons la flûte, voulez-vous ?
« Tu l’entends ? Il attendait. Je l’aurais ignoré qu’il serait venu. Je n’ai même pas eu besoin de prononcer son nom. Il est dans chaque fissure, ça suinte la flûte. Qu’il arrête donc ce bruit, il va me rendre folle ! Viens si tu l’oses, voleur ! Rends-moi mon service à thé ! Et toi Darling, va-t-en ! C’est une affaire entre lui et moi. »

Il était plus agile qu’un chat. Il savait où poser les pieds, par quelle cheminée passer. Et il jouait, ça sonnait faux, mais c’était bizarrement beau. Mais ça, elle ne pouvait le comprendre. Elle avait tout enterré, il ne lui en voulait pas. Il bondit sur le rebord de la fenêtre, dans une dernière note enfantine.

« Tu y tiens, hein ? Trop adulte pour inventer quoique ce soit. Du Dickens ma mie ! Dis-moi à quoi ça te sert, à toi et tes jupes !
- Sois pas gamin, rend-le moi. C’est pas de l’opium.
- C’est pire. Tu ne sais même plus raconter des histoires. »
Elle prit un air boudeur. Trop de choses avaient changés de couleurs. Ils s’étaient rencontrés, aimés, jetés, et cela au nom de leur amitié. Mais tout ça, c’était il y a des siècles. Qu’avaient-ils encore en commun ? La cadence. C’est tout. La décadence. Si elle criait, il partirait, pour sûr. Mais qui la croirait, qui prendrait sa défense pour un maudit service à thé, trouvé dans un bazar londonien ? On ne pouvait pas compter sur Darling.

« Faisons un troc : Que veux-tu contre mon service à thé ? »
Il sourit, dévoilant ses canines. S’il lui avait pris, ce n’était pas pour lui rendre. Il s’approcha, doucement, de sa démarche de félin, le mensonge entre les dents.
« Trop tard, je l’ai donné aux indiens, qui l’ont vendu aux lutins, ça fera des infusions pour le père Noël.
- Arrête s’il te plait. Dis-moi, je sais que tu l’as.
- Et les monstres ? Tu sais que je les ai aussi les monstres. »
Elle déglutit. Le mal à l’estomac, à la gorge, ça revenait. L’angoisse, là, devant elle, le passé qui surgissait, ça lui donnait la nausée.
Voyant son visage se décomposer, il éprouva une vilaine joie intérieure. Mais elle s’effaça bien vite, après tout, il l’aimait encore. Surtout qu’elle commençait à pleurer. Et l’eau comme ça, qui lui balayait le visage, ça la rendait floue, ça l’éloignait de lui. Ce n’était pas ce qu’il voulait.
« Allons, arrête, je ne les lâcherai pas. Et je te rends ton jouet, petite fille. »
Il passa sa main sur ses joues, essuya délicatement ses larmes, lui baisa le front. Et disparut dans un rire.

Elle se retourna. Le service à thé était là, sur la table basse. Des contes de Grimm trempaient dans le thé noir. Elle chancela. Elle se rappela. La nuit noire.

dimanche 24 janvier 2010

Jaded

Expliquez-moi, je ne comprends plus. Je n’ai jamais rien su. On s’envole comme des dirigeables pour finalement s’écraser sans prévenir sur un champ de pâquerettes et de squelettes. J’ai beau avaler l’imaginaire, je ne le sauve pas, il file entre mes doigts, il meurt devant moi, les souvenirs et ma jeunesse avec. 

Expliquez-moi pourquoi ce sont les lendemains qui chantent, les lendemains toujours remis à plus tard. Pourquoi un éclair peut-il se briser comme ça, sans aucune retenue. Trouvez la source de ma névrose. Trouvez, guérissez, exterminez. Je m’épanouirai tel un baobab au pied du Kilimandjaro. Je pousserai dans la sécheresse de ma cervelle et de mes émotions et procurerai de l’ombre aux zèbres. CQFD.

On devrait ne jamais tuer l’été.