«… Même
si mes nuits ne sont que folies divines et immortelles, folies maladives, de
l’ordre d’un mal irrationnel, que puis-je faire à part continuer à souffrir, à
rêver…
- Ce que l’on voit à l’intérieur de soi, ces bouts
de miroir aiguisés, c’est une image que l’on n’aurait jamais dû percevoir ou
toujours dû connaître. Ce n’est pas juste. Parce que ces choses, elles te
poursuivent éternellement dans le noir.
- Elles te traquent, elles t’étouffent.
- Qu’il est terrible de se retrouver seule face à
soi…
- C’est dégueulasse. On se sent sale après. On
aimerait se raser les cheveux, passer du désinfectant. On aimerait s’ouvrir la
tête et tout foutre dehors.
- Mettre de l’essence dedans, y mettre le feu…
- La mort aux rats. Il faut tuer les nuisibles,
les bêtes invisibles…
- Invisible, insubmersible, indestructible,
invincible, inco…
- TU COMPRENDS DIS, TU COMPRENDS ?
- …hérence. Errance, errance, errance… Pestilence
et décadence.
- PAUSE CHATEAU DE CARTES !!! »
Les deux filles s’effondrèrent d’un coup, épuisées par leur joute. A
16h18 précises, tous les vendredis, elles se réunissaient en secret dans le
petit salon de Madame. Et elles se battaient. Puis, lorsque les mots ne
sortaient plus, elles s’endormaient dans la fumée, cette saleté de d’encens. A
moins que ce ne soit de l’opium ? Les livres se balançaient alors doucement
en chuchotant. Mais ce sommeil devait être mérité, là au milieu des étoffes, de
l’aquarelle et du parquet. D’abord, fallait commencer par les injures, puis on
passait par les railleries, les mauvaises blagues, on complétait le tout par
des ragots puériles et ô combien déplacés. Au fur et à mesure, la colère monte,
s’envenime, elle s’empare de vos cordes vocales, de votre langue. Au moment où
vous sentez qu’elle s’intéresse à vos mains, c’est le moment de hurler de soi.
Et là, on rencontre la haine, cette haine existentielle liée à
l’incompréhension de ce que nous sommes, à la peur de ce que nous apercevons au
détour d’un cauchemar. La fin du rituel finissait toujours un peu de la même
façon, après tout c’est normal. Au bout d’un moment, on n’a plus rien à se
dire, surtout à nous-mêmes. Les reproches ne changeront pas, la liberté, cette
misérable liberté, elle est par delà nos yeux. Et de ce corps magnifique et
maudit, nous n’en sortirons pas vivant.
Les beautés perdues s’observèrent, les yeux mi-clos. Une horloge sonna
une mauvaise heure. Elles soupirèrent de concert.
« Si seulement on était encore en vie… Je recherche tellement le vent, le printemps…
« Si seulement on était encore en vie… Je recherche tellement le vent, le printemps…
- Le tapis sera notre pré d’illusions. Je ne
regrette rien. Endors-toi jolie princesse, la nuit sera longue.
- Tu me réveilleras ?
- Pas sûr. Pas avant l’arrivée.
- Ce n’est pas drôle June. Alors, je veux une
belle surprise en rentrant, que quelque chose de bien s’écroule en notre
absence.
- Ne t’inquiètes pas, le temps s’en chargera. »