lundi 4 mars 2013

Conte pour une soirée d'hiver

Voici venus les jours morts, les jours gris et les nuits blanches où l’on se plonge dans le noir. Les monts se font aquarelle, bercés par la splendeur du froid. Les mains glacées, je marche, chaque pas trouvant écho dans les milliers de flocons déchus qu’il a foulé. Le silence me rend reine dans mon royaume de neige, seule élue à se mouvoir dans ce spectacle d’êtres figés.
Aujourd’hui, je vais voir l’Arbre aux oiseaux, les restes d’Eden.

Je suis sortie de ma cave, un peu trop sombre mais chaleureuse. J’ai laissé pour quelques temps mes conversations avec les morts, trop peu me répondent. On me dit folle, on me dit fantôme, mais je ne suis qu’Hamlet, hantée par des questions sans réponse. J’ai juste franchi la porte, pas assez pour être Dante ou même Faust, mais assez pour savoir regarder dans les yeux à travers des orbites creuses.
Et dire que je vais voir l’Arbre aux oiseaux.

Quoi, vous ne le saviez pas ? Non, bien sûr que non, foutaises que tout cela, les oiseaux, descendant des dinosaures ? Des êtres aussi délicats, parents de gros lézards ? Oubliez tout ça, je vais vous conter la véritable histoire.
Les oiseaux, autrefois, ne naissaient pas en sortant de leurs œufs. A l’automne, ils allaient à un arbre, un mystérieux arbre aux grandes fleurs jaunes. Les oiseaux s’empressaient d’en aller embrasser les pistils. Ainsi fécondés, les pistils se muaient en gros fruits verts élancés, de la forme de petits oiseaux. Et au printemps, lorsque les rayons du soleil allaient les chatouiller, les fruits s’empourpraient et enfin tombaient, ne tenant plus en place. Mais jamais ils ne touchaient terre ; ils s’envolaient, devenant de jeunes joyeux volatiles.
Cependant, les oiseaux décidèrent de découvrir le monde et plus ils s’éloignèrent, plus ils mirent du temps à revenir à l’Arbre aux oiseaux. Et ce qui devait arriver arriva : les oiseaux furent bloqués par l’hiver. L’Arbre, peiné, décida de faire un don aux survivants et offrit ses pistils d’or, qui devinrent les œufs.
Cet arbre exceptionnel, personne ne l’a vu et pour cause ; seul le Jardin d’Eden pouvait abriter un tel être disait-on. Et moi je vous dis qu’aujourd’hui, je vais voir l’Arbre aux oiseaux.

J’arrivai devant de lourdes portes en fer, bien trop grandes pour une petite humaine comme moi. Qui a bien pu les construire ? Ces montagnes étaient probablement le foyer d’anciens géants. Les géants ont le goût des jolies choses, ils aiment les êtres fragiles parce qu’ils se doivent de les protéger. De ma bouche sortent des petits nuages, ils se pressent contre moi, terrorisés. Il n’y a pas à avoir peur des portes pourtant. Je les affectionne tout particulièrement, parce qu’elles portent des promesses en elles, un espoir. Elles sont un pas avant l’avenir et c’est que je ressentais là.
Je pris mon courage à deux mains et toqua à la porte. Bien sûr, personne ne me répondit. Je poussais donc de toutes mes forces les étonnants battants de métal. Au bout d’un certain temps, ceux-ci se mirent à gémir. Je pris cela comme un consentement à mon labeur, quand enfin l’un des deux se mit à fléchir, pour finir par me laisser assez de place pour me faufiler dans l’ouverture.

A l’intérieur, il régnait un silence complet. Il n’y avait pas le moindre souffle de vent. Soudain, le chant d’un oiseau retentit, un chant qui m’était jusque là inconnu. Le jardin était plus grand qu’il n’en avait l’air. Enfin « jardin »… C’était plutôt une forêt de mélèzes et de pins, aux effluves joyeuses et vivifiantes. Je marchai un peu, cherchant une clairière qui aurait pu accueillir l’Arbre aux oiseaux, que j’imaginais seul, immense par son grand âge et sa sagesse.
Cependant, je traversai la forêt sans trouver le moindre indice qui aurait pu indiquer la présence d’un arbre aussi incroyable. Seul le chant de l’oiseau m’avait convaincu que je ne m’étais pas trompé d’endroit. Ici, il n’y avait pas que la vie qui était figée, le temps semblait inexistant et j’avais peur que si je ne m’arrêtais trop longtemps, moi aussi je deviendrais une sculpture de cet étrange jardin.

Soudain, j’aperçus enfin un feuillu, mais d’allure bien frêle ; il me dépassait à peine en taille et ses branches étaient tellement fines qu’elles avaient l’air de pouvoir casser à tout moment. Il avait la teinte d’un bouleau, à la différence qu’il avait conservé ses feuilles, d’un vert éclatant et étrangement repliées sur elles-mêmes, un peu comme de jeunes fougères. Je compris en m’approchant qu’il ne s’agissait absolument pas de feuilles, mais bien de fruits. Comment un arbre à l’aspect aussi fragile pouvait-il supporter le poids de tels fruits sans qu’aucune de ses branches ne fléchisse ? Bien que dans mon esprit je compris très vite qu’il s’agissait bel et bien de l’Arbre aux oiseaux, je n’arrivais pas à y croire tant il ressemblait peu à ce que j’avais imaginé. Il aurait du être là, trônant au milieu de son royaume, magnifique ! Au lieu de ça, ses sujets semblaient même le priver de lumière.

J’osai m’en approcher afin de juger le poids et la texture des futurs oiseaux. J’en saisis délicatement un, effrayée cependant à l’idée que je pourrais malencontreusement le décrocher de sa branche. Et c’est ce que j’ai failli faire tellement je fus surprise par la légèreté du fruit : on aurait cru une enveloppe vide, pleine uniquement de l’idée de l’oiseau qui viendra à naître. Soudain, le fruit remua dans ma main et je le vis avec horreur se teinter de gris. L’aurais-je fait mourir ? Toutefois, il commença également à grossir et je dus rapidement le prendre à deux mains. Et il gagnait en poids ! Qu’avais-je donc fait à ce pauvre arbre, à l’évidence un vieillard ? Lorsque que le fruit atteint quasiment la taille d’une noix de coco, il s’agita si vivement qu’il m’échappa des mains et fit dangereusement tanguer l’arbre, créant une tension si forte que le fruit se détacha de sa branche traumatisée. Je ne pus m’empêcher de fermer les yeux.

Quand je les rouvris, le fruit avait disparu.
« Ne t’en fais pas, jeune fille. Il va bien. Mais si déjà tu l’as fait naître avant la date prévue, tu seras chargée de t’en occuper. »
Je ne sais ce qui fut le plus surprenant pour moi, un arbre qui parle ou la sensation de griffes acérées se posant sur mon épaule. En tournant légèrement la tête, je vis qu’un rapace de taille moyenne me regardait fixement, comme s’il me détaillait lui aussi. Son dos était gris anthracite aux reflets bleus et noirs. Son ventre était gris clair, moucheté de plumes plus foncées. Quelqu’un semblait lui avoir mis du noir sur ses tempes. Partant de ses yeux dorés et intelligents, ces deux traces sombres lui donnaient une aura mystérieuse, entre celle d’un super héros et d’un animal inquiétant.
« C’est un autour des palombes, un épervier si tu veux. Ce n’est certes pas l’oiseau le plus commun pour une sorcière dans ton genre, mais tu devrais être ravie, je suppose, à l’idée qu’il était vu lui aussi comme une créature du diable autrefois. Ce qui est fortement injuste au demeurant. L’épervier est certes un peu cruel, mais bien faible est le nombre d’êtres sur cette terre à posséder son courage. »

L’arbre se secoua, faisant tomber un reste de neige. Je n’arrivais pas à déterminer d’où venait exactement la voix, ce qui était d’autant plus troublant.
« Je suis dans ta tête, donc je sais ce que tu penses. Tu devrais pourtant savoir que les arbres ne parlent pas. »
La télépathie ?
« Pas exactement. Je transmets à ton âme mes sensations, qu’elle rend intelligible par tes pensées. Alors dis-moi, comment vas-tu appeler ton nouveau compagnon ? »
L’autour des palombes s’envola et fit quelques cercles gracieux en surplomb des cimes. Ses ailes miroitaient. Il était peu probable que ses frères ovipares aient un tel éclat, même en plein soleil. Je tendis mon avant-bras et il vint se poser quelques secondes plus tard comme si nous nous connaissions depuis fort longtemps.
« Orloff, le diamant noir. Oui, c’est ainsi que je vais t’appeler. Orloff. »