mercredi 19 décembre 2012

La petite fille du chaos

           « Si je suis capable d’en rêver, c’est que je peux le faire. »

           Il était un petit d’homme qui voulait s’envoler vers le ciel.
           Le genre de trucs dont tu rêves toute ta vie.
           Ce n’était pas Icare, il n’était pas non plus astronaute. Il regardait vers les étoiles tous les soirs et il priait. Les nuages s’arrêtaient alors un instant, suspendus dans le souffle de ses mots qui allaient à contre-sens du vent. Ses pensées s’en allaient vers le ciel, légères, et cherchaient à effleurer le vol des oiseaux.
           C’était un garçon bizarre, un peu sauvage. Rares étaient les personnes qui connaissaient le son de sa voix. Les traits qu’il dessinait à longueur de journée dans ses cahiers ne semblaient mener nulle part.

           Mais la petite fille savait. Elle vivait dans l’ombre des cheminées sur les toits, dans le bruissement des feuillages, elle connaissait les prières de tous les rêveurs. Elle les réfléchissait comme la lune faisait miroiter les espérances mortes du soleil.
« Galaad, c’est le mot qui m’est venu. Je t’appellerai Galaad, le faucon d’été. »

           Les saisons passèrent et le petit d’homme ne s’arrêta pas de prier. La petite fille l’observait chaque soir, ses longs cheveux noirs s’enroulant parfois autour de ses doigts sans qu’il ne s’en rende compte quand il s’endormait dans l’herbe humide du crépuscule. La petite fille était triste, car elle savait que son tendre Galaad ne s’envolerait jamais.

           Un soir, alors que le garçon dormait, la petite fille décida d’une chose : elle donnerait un nouveau rêve à Galaad.
           Elle mordit sa lèvre avec l’intention de tuer. Un peu de sang perla au coin de ses lèvres. Elle en recueillit quelques gouttes de l’index et en coloria une minuscule fleur blanche. Celle-ci en mourut instantanément, comme brûlée. La petite fille souffla dessus, et la fleur devint poussière. Elle souffla et souffla encore, déterminée à répandre ce qui devait germer jusqu’à l’autre bout de la Terre. Mais les démons ne sont pas créateurs et la petite fille pleura.

           C’est alors que le garçon s’éveilla. Étonné de voir cette petite fille sangloter à ses côtés, il voulut la consoler. Il commença doucement à lui parler, comme il l’aurait fait aux étoiles. La petite fille le regarda, les yeux embués de larmes. Émue d’être ainsi réconfortée par un simple humain, elle se mit à chanter. Elle se leva et prenant la main de celui qu’elle nommait Galaad, elle l’entraîna à sa suite.
           Deux enfants cloués sur Terre qui demandaient aux astres de quoi ils avaient seulement le droit d’avoir l’air…

           Soudain, la petite fille s’arrêta près d’une forêt, l’une de ses forêts anciennes qui interdisent à l’herbe d’y pénétrer. Elle eut à ce moment-là une idée ; pénétrant aussi facilement dans le bois obscur que si celui-ci avait été du vide, elle disparut au milieu des branches grimaçantes. Elle en ressortit presque aussitôt en tenant quelque chose d’indistinct dans les mains. Le garçon était intrigué par la texture de la chose qui ne semblait pas avoir de formes précises, c’était comme du coton mais d’un noir profond. La petite fille commença à malaxer la chose comme elle l’aurait fait avec de la pâte à modeler. Elle avait un air si sérieux que le garçon eut envie de rire. Ayant l’air satisfaite d’elle-même, la petite fille sépara la chose en deux et appliqua soigneusement les deux bouts au niveau de ses omoplates. Elle fit signe au garçon de s’approcher et de se retourner, puis l’enlaça pour une raison qui échappait à Galaad.

           Brusquement, le jeune garçon fut emporté dans les airs par une créature aux ailes gigantesques de corbeau. Le petit d’homme avait perdu pied dans ce qui devait être sa réalité. Il avait le souffle coupé et ne savait plus où regarder. Cependant, plus il s’éloigna de la terre ferme, plus le monde sembla se voiler derrière un étrange halo sombre. Les ailes de nuit de la petite fille, elles, brillaient sous l’éclat de la lune, chaque plume se détachant avec netteté du ciel, comme l’avaient été les traits de crayon sur les pages blanches de ses cahiers.

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